Martha et Thomas Wayne, en tant que personnages décédés, ont toujours constitué un canevas de créativité, certes peu exploité. Derrière leur image auguste post-mortem, l'opportunité était offerte, pour tout scénariste, de broder un tant soit peu et de s'approprier le couple défunt. Quelques tentatives avaient déjà montré Thomas Wayne en tant que premier Batman d'opérette, lors d'un bal costumé, prédestinant le jeune Bruce à son avenir en tant que vengeur masqué. Geoff Johns profite de cette base à l'occasion de la saga Flashpoint pour réellement laisser libre cours à son imagination, mélangeant cet hommage daté à d'autres influences plus récentes, dans un ultime pot pourri avant le grand reboot de 2011.
Le lecteur de la BD ou le spectateur du film se retrouvent en effet à la croisée des chemins entre le fameux The Dark Knight Returns de Frank Miller, mais aussi et surtout un hommage au Batman de Bob Kane, comme dans une volonté de parachever la boucle de l'Histoire du personnage avant de repartir de zéro. Les yeux rouges et épaulettes peuvent aussi être inspirées du Batman de Jean-Paul Valley, emblématique du parti pris artistique des années 90, et de manière générale, son esthétique convoque aussi l'univers de Tim Burton. Distordre Batman en le munissant à nouveau d'armes à feu après plus de soixante ans, lui qui ne tuait désormais jamais par principe immuable, traumatisé à vie par le revolver, allégorie de la tragédie, de la violence et de la mort, constitue le renversement parfait et évident à opérer pour le Chevalier noir. Jeph Loeb s'y était amusé de façon plus anecdotique avec Batzarro en 2005. Les nombreux casinos qui lui appartiennent, brièvement aperçus dans le film, sont une autre métaphore des tentations dont il est prisonnier, la mort ayant eu un impact bien plus auto-destructeur et sombre sur lui que sur Bruce, si cela était possible. Aigri, adepte du sarcasme, alcoolique, fataliste qui n'a plus rien à perdre, sa personnalité est suffisamment travaillée pour le distinguer de toutes les autres versions de Batman, y compris celle de Frank Miller.
Mais le Batman de la continuité Flashpoint n'est pas que la brute épaisse et extrême, derrière sa carapace extrême se trouve une figure torturée, romantique, qui erre dans les brumes alcoolisées d'un Gotham crépusculaire pour fuir, en vain, la douleur infligée par la mort de son fils et la démence sociopathe de son épouse. Loin de l'altruisme et de l'espoir qui subsistaient chez Bruce, Thomas Wayne n'a plus que la vengeance contre une ville qui lui a tout pris. Le cas de Martha n'est que rapidement évoqué dans le film, mais la bande dessinée Flashpoint : Knight of Vengeance livre leur histoire, concrétisant grâce aux Wayne l'interprétation, accrue ces vingt-cinq dernières années, de l'attirance sexuelle dans la relation ambigüe qu'entretiennent Batman et son éternel ennemi le Joker.
Thomas Wayne finit sous les tirs, non sans avoir débarrassé cette Terre folle du Professeur Zoom qui la maintenait en place, et livre à Bruce le plus beau des cadeaux en ultime testament, lui permettant, à la fois de faire son deuil, et d'entamer un nouveau chapitre dans tous les sens du terme, celui de la continuité New 52.
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