2 - le rythme dans la peau
Le rythme d'un combat varie énormément suivant l'histoire. Il peut être aléatoire, désordonné ou au contraire cyclique, répétitif, voire chorégraphié. Cela peut se traduire dans l'agencement ou le découpage des cases, les possibilités sont illimitées.
Cependant, une chose qui ne fonctionne pas,ou alors difficilement, c'est le plan séquence. Prenons cette planche de XIII :
La case "M16 + victime qui s'étonne" ne fonctionne définitivement pas. déjà d'un point de vue logique, c'est complètement aberrant que la femme s'étonne aussi tard que les mercenaires ont déjà bousillé la fenêtre en tirant dans tous les sens. Mais le problème n'est pas là : sur une même case on voit des armes à feu en action et la cible avec une expression de surprise. La case devrait être séparée en deux vignettes distinctes : d'une part la femme surprise, puis les armes faisant feu. En ajoutant une gouttière entre deux images, on laisse au lecteur le soin de reconstituer l'action qu'on a découpée. Là Vance (le dessinateur) a fait un plan où on voit tout en même temps (même problème que pour Ross) et la scène n'a plus aucun sens. Et on a même un douteux problème de perspective.
Bon et sinon la planche regorge d'autres défauts, c'est à la limite du festival, on y reviendra peut-être.
Bref, de l'intérêt là encore de
décomposer la séquence. Maintenant regardons deux exemples réussis.
Authority est issu du genre de comics " widescreen" à la réalisation très cinématographique (initiée par la JLA de Grant Morrison, on peut aussi citer Ultimates ou encore Stormwatch). L'influence cinéma se fait particulièrement sentir sur cette séquence avec l'utilisation de plans larges successifs. Du comics 16/9 en somme. La séquence est particulièrement simple : 4 cases pour : introduire les gentils, introduire les méchants, amorcer le "combat" et conclure. Mais la scène est parfaitement efficace car Quitely respecte les codes cinématographiques en alternant les angles de vue entre opposants (ce qui renforce l'antagonisme). Première case, plan sur l'équipe d'Authority, deuxième case plan opposé sur les méchants, troisième case, retour sur les gentils avec la figure de l'Ingénieur (qui était le seul personnage avec le Midnighter a apparaître en couleur lors du plan précédent, façon de l'introduire et de maintenir la cohérence) encadrée par un fond rouge et deux énormes langues de feu. Dernière case, plan de conclusion avec la caméra placée derrière le méchant survivant, encerclé par les gentils.
Rien de très sophistiqué donc mais cela marche car Quitely a conservé le choix du cadrage tout le long de la scène en opposant ses angles de vue.
Deuxième exemple, là c'est vraiment du combat, et physique en plus, une planche du très bon Casanova de Matt Fraction et Gabriel Ba :
On commence avec une case (non délimitée par un cadre d'ailleurs) plutôt large pour marquer l'importance du premier coup. Puis une vignette étroite centrée sur Casanova, avec un phylactère explicite, pour bien souligner la surprise du personnage.
Enchaînement de deux petites cases "zoom" sur les coups du méchant, ce qui accentue sa précision et son talent martial.
Troisième case plus large pour donner de l'ampleur à ce coup de poing qui fracasse le mur. Notez que Casanova est alors dessiné en traits fins et en blanc pour que l'action principale (colorée en vert et noir), plus lourde car c'est un coup porté, apparaisse mieux.
Le combat revient à un équilibre avec la grande case allongée où Casanova enfonce le barbu dans le sol. On trouve un parallèle avec la première case en terme de puissance d'évocation (remarquez bien les striures noires dans le fond pour souligner le mouvement).
En parlant de striures elles disparaissant à la case suivante puisque les deux personnages sont immobilisés l'un par l'autre. Le plan est d'ailleurs latéral et on voit que Casanova occupe plus de place sur la case (il semble avoir le dessus grâce à son coup précédent).
Puis dernière case, le barbu revient à égalité (et sa tête dépasse celle du héros). Le plan est toujours latéral mais rapproché pour renforcer l'impact, et c'est le retour des striures dans le fond.
Voilà une séquence rythmée, cohérente et évocatrice qui s'autorise des changements de cadrage, de taille de cases, un agencement irrégulier (avec néanmoins un élément de symétrie), des vignettes zoom et des plans éloignés, le tout sur une seule page.
A venir, la cohérence spatiale et le rapport des masses.