Je ne suis hélas pas un spécialiste mais en me concentrant un peu, j'ai pu rassembler quelques idées sur une série de thèmes et donc j'ouvre la discussion en proposant deux ou trois théories et des exemples illustrés. A vous de répondre, de vous insurger, d'abonder en mon sens, de compléter ou d'apporter un tout autre éclairage !!!
Pour bien faire, j'inaugure avec un numéro racoleur : la baston ! Le comic super-héroïque en regorge, c'est même sans doute sa principale caractéristique, alors voilà posée la question du jour : c'est quoi une bonne baston dans un comics ?
D'abord je tiens à préciser qu'il n'existe évidemment pas une seule et unique façon de mettre en scène un affrontement en BD (normal et tant mieux). Mais je suis persuadé qu'il y a des choses qui fonctionnent et d'autres qui ne fonctionnent pas et c'est donc ce dont je vais parler maintenant.
1 - Est-ce qu'on voit bien tout ?
Il y a des dessinateurs qui se sentent obligés de TOUT dessiner frénétiquement, avec moults détails, pour que ça en jette. On peut citer Van Sciver, Mc Farlane (et tous ses clones comme Medina, Tan, etc...) ou encore Alex Ross dans une moindre mesure.
Attention danger : à trop vouloir en montrer, on finit par mettre tous les éléments visuels au même niveau et on en oublie la hiérarchie de l'information. Car le plus important dans une planche de baston, c'est bien de montrer l'antagonisme : les deux camps qui s'affrontent.
Or, rien n'oblige à toujours fixer la caméra sur les deux personnages qui s'envoient des beignes. Zoomer sur un endroit précis peut s'avérer bien plus efficace et bien plus dynamique (par exemple un plan sur les pieds peut signifier que le personnage vient de prendre ses appuis et se prépare à encaisser ou à charger) . On passe ainsi d'une succession de cases semblables (qui adoptent à chaque fois le même angle ou représentent toujours la même chose) et indépendantes à un ensemble composé de vignettes reliés de façon logique, qui n'ont de sens qu'en tant que bloc (parce que la case du pied, sortie du contexte....).

Sur cette planche de Kingdom Come, Alex Ross surcharge son avant-dernière case. On voit la victime potentielle qui vient d'être sauvée ET le méchant transpercé ET Wonder Woman qui vient de le planter ET Batman qui s'interroge. Ross se paye même le luxe d'être redondant avec la vignette précédente qui fait un gros plan sur Batman. Le rythme est complètement tué à cause de cette case large : il aurait fallu découper davantage pour que la scène conserve son impact dramatique, en deux ou trois cases plus petites on aurait gardé un enchaînement rapide des points de vue victime/méchant et Wonder Woman/Batman. A trop vouloir montrer, Ross tombe dans le piège de l'illisibilité et n'arrive pas à hiérarchiser l'importance des informations qu'il souhaite amener au lecteur.
Cela vaut aussi, dans un autre registre, pour les dessinateurs comme Jimenez et Pérez qui surcharge souvent leurs pages avec des tonnes de personnages en train de se cogner. Ces compositions sont vite imbuvables lorsqu'elles sont répétées.
Enfin le syndrome " très grande case". Tradition des 90s (même si initiée par Jack Kirby bien avant), de l'époque des comics Image à la tendance bourrine prononcée, la grande case (j'inclus dedans la "splash page" : une page, simple ou double, composée d'une seule image) en jette. Le but : montrer le personnage principal ou le méchant prenant une pose de folie. Le problème : l'usage de la grande case est souvent abusif ou inapproprié.
Je considère la grande case comme un point culminant, le moment où le dessinateur veut concentrer l'attention du lecteur sur le personnage. Pour cette raison j'estime que la très grande case doit être utilisée avant ou après une baston, pas pendant car la taille qu'elle prend sur la page diminue de façon considérable la place des gouttières comme les appelle McCloud (les vides entre les cases quoi). Or ce sont ces espaces qui font travailler notre imagination en déclenchant des ellipses. Plus vous avez de cases, plus vous avez de gouttières donc plus vous avez de possibilités, de mouvement, d'imagination. Si une case monopolise l'attention, l'action s'en trouve amoindrie puisque le combat ne peut-être envisagé que d'une seule façon : celle représentée par la grande case.
La suite bientôt, j'ai encore des choses à dire mais il faut que je les organise et puis je ne veux pas surcharger le premier post. A venir : le rythme avec des exemples réussis et des plantages remarquables !